DOMAINE D’ACTIVITÉ STRATÉGIQUE

Pierre CÉLIER, professeur en CPGE-ECT à Nice
Document mis à jour le 09/05/2014

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L’ambigüité du concept de « Domaine d’Activité Stratégique » (DAS) ne provient pas de sa définition générale (qui fait à peu près consensus) mais de la nature des critères à utiliser pour circonscrire correctement les DAS lors de la procédure de segmentation stratégique.
En effet, les propositions diffèrent radicalement d’un auteur à l’autre… Ce qui est gênant pour un concept aussi central, qui sert de pierre angulaire à toute la réflexion stratégique de l’entreprise.

Un Domaine d’Activité Stratégique (DAS) se définit traditionnellement comme un ensemble homogène de produits (ou de Couples Produits-Marchés) pour lesquels il est possible de formuler une stratégie globale.
La délimitation des DAS de l’entreprise résulte de l’opération dite de segmentation stratégique (macro-segmentation) qui consiste donc à regrouper dans un même « segment stratégique » (ou DAS) les « activités homogènes » de l’entreprise (c’est à dire les activités ayant suffisamment de synergies pour qu’on puisse leur appliquer la même stratégie), tout en veillant à ce que les différents segments stratégiques soient le plus hétérogènes possibles les uns par rapport aux autres.
Or, comme le souligne Yves Chirouze (Le marketing stratégique, Ellipses, 1995) si « l’unité d’analyse stratégique qui semble faire la quasi-unanimité des spécialistes est le DAS (…) cette convergence de vue n’est qu’apparente dès lors que l’on tente d’en cerner les véritables contours ». En effet, alors que la plupart des auteurs s’accordent sur la définition d’un DAS (ensemble « homogène » de produits ou de CPM), leurs avis divergent radicalement sur le choix du (ou des) critères(s) d’homogénéité à prendre en compte lors de la procédure de segmentation stratégique.

Parmi les critères d’homogénéité les plus fréquemment proposés pour circonscrire les D.A.S., on peut ainsi lister :

  • le métier (type de technologie utilisé,
  • et/ou la mission (besoins satisfaits ou services rendus),
  • et/ou le type de clientèle visé (en veillant à ne pas confondre « type de client » et segment de marché !,
  • et/ou l’espace géographique (régional, national, mondial, etc.),
  • et/ou les circuits de distribution utilisés,
  • et/ou le degré de substituabilité des produits entre eux,
  • et/ou les concurrents,
  • et/ou les fournisseurs communs,
  • et/ou la logistique,
  • et/ou la marque utilisée,
  • et/ou le lieu de production,
  • etc.

La difficulté vient donc de la multiplicité des critères d’homogénéité qu’il est possible d’utiliser pour définir les DAS, sachant qu’aucun d’eux ne s’impose clairement par rapport aux autres (d’autant plus que leur degré de pertinence peut varier suivant le contexte d’utilisation !).
Ceci a d’ailleurs conduit certains auteurs et praticiens à recommander l’utilisation d’une combinaison de critères lors de la procédure de segmentation stratégique. Ainsi, par exemple :

  • Derek F. Abell propose d’utiliser 3 critères complémentaires :
  1. type de client,
  2. technologie utilisée,
  3. besoin satisfait
  • Jean-Pierre Thibaut propose d’utiliser 5 critères complémentaires :
  1. homogénéité de la clientèle,
  2. besoins satisfaits,
  3. concurrence,
  4. hiérarchie des FCS,
  5. technologie
  • etc.

La difficulté est d’autant plus grande que, quels que soient les critères retenus, il est rare d’obtenir des segments parfaitement homogènes entre lesquels il n’y ait aucune synergie (cette dernière pouvant apparaître au niveau de l’approvisionnement, de la production ou de la distribution). Il convient donc nécessairement de trouver un compromis, de manière à définir des DAS qui ne soient ni trop fins (la définition de segments stratégiques trop étroits, trop proches des segments de marché, conduirait à surestimer la position concurrentielle de l’entreprise et à négliger d’éventuelles synergies), ni trop larges (à l’inverse cela conduirait à sous-estimer la part de marché de l’entreprise et à biaiser la réflexion stratégique, faute de pouvoir identifier correctement les facteurs clés de succès du DAS).

Pour tenter de contourner la difficulté posée par le choix de ce(s) critère(s) d’homogénéité, R. Calori et G. Petit (Le diagnostic stratégique, in Encyclopédie des sciences de gestion, Vuibert, 1988) ont proposé une démarche alternative originale consistant, après avoir identifié les « facteurs clés de succès »  (FCS) de chacune des activités élémentaires de l’entreprise, à définir ses DAS par regroupement des activités élémentaires partageant les mêmes FCS.
Cette démarche est élégante et intellectuellement séduisante (elle permet à la fois de construire rationnellement les DAS et de de servir de fondement à la définition de la stratégie adaptée à chacun d’eux). Toutefois, il convient de souligner l’extrême difficulté posée par l’identification correcte des FCS de chaque activité et les problèmes pratiques que peut soulever le rattachement d’une activité élémentaire ayant plusieurs FCS relevant de différents DAS.

On le constate, la segmentation stratégique relève, finalement, autant de l’analyse que du jugement et suppose à la fois un grand savoir-faire et une forte expérience de l’entreprise et de son secteur.
Dans ces conditions, l’identification des DAS d’une entreprise s’avère un exercice particulièrement délicat, notamment dans le cadre d’une étude de cas à traiter en temps limité… Compte tenu de ce qui précède, 3 types de démarche peuvent être envisagées pour traiter ce type de question :

  1. La plus « professionnelle » consiste à choisir dans un premier temps les critères d’homogénéité à prendre en considération (en les justifiant en fonction du contexte) puis, sur la base de ceux-ci, à définir les DAS de l’entreprise.
    Toutefois cette démarche s’avère particulièrement chronophage et exige une bonne capacité rédactionnelle. Elle n’est donc peut-être pas la plus appropriée aux épreuves d’études de cas classiques de la filière STMG, où le questionnement sur les DAS est généralement relativement superficiel et n’appelle pas vraiment de longs développements circonstanciés.
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  2. L’utilisation de la méthode proposée par R. Calori et G. Petit peut s’avérer plus concise et élégante (d’autant plus qu’elle pourra servir de base de réponse à un éventuel questionnement ultérieur sur les recommandations stratégiques).
    Toutefois elle exige également une bonne qualité rédactionnelle et, surtout, une grande finesse d’analyse pour identifier et justifier de manière convaincante les FCS retenus pour chaque activité élémentaire. Suivant la qualité et le nombre des informations fournies par les annexes du cas, le risque est que le raisonnement se révèle trop superficiel et/ou caricatural.
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  3. Le recours à une « combinaison standard » de critères d’homogénéité (suffisamment large et pertinente pour pouvoir s’appliquer à de multiples contextes) est probablement mieux adaptée au cadre d’un travail à réaliser en temps limité, sachant qu’elle évite d’avoir à justifier chacun des critères retenus.
    Dans cette perspective, la combinaison de critères proposée par Derek F. Abell (Defining the Business: The Starting Point of Strategic Planning, Prentice Hall, 1980) nous semble la plus appropriée. Elle présente l’avantage d’être synthétique (elle se base seulement sur 3 critères d’homogénéité : « type de client », « technologie utilisée » et « besoin satisfait »), d’être relativement simple (même s’il ne faut pas perdre de vue la difficulté liée à la multiplicité possible d’approche de chacun des 3 critères proposées) et d’être « consensuelle » (les 3 critères retenus par D. F. Abell font partie de ceux les plus couramment proposés par les praticiens et auteurs). De plus elle se prête bien à un traitement sous forme de tableau, ce qui limite les difficultés rédactionnelles et permet de gagner un temps précieux lors d’une épreuve d’examen ou de concours.

Toutefois, quelle que soit la méthode retenue, il convient d’être particulièrement vigilant sur l’aspect parfois caricatural des conclusions auxquelles l’application mécanique d’une méthode peut aboutir (notamment dans le cas de la méthode de D.F. Abell, lorsque les 3 critères d’homogénéité sont interprétées de manière maladroite !).
Il est donc recommandé de toujours conclure une approche de ce type en s’interrogeant sur les éventuelles synergies entre les DAS obtenus et, lorsque ces dernières sont suffisamment significatives, ne pas hésiter à proposer, en la justifiant, une re-délimitation alternative des DAS.


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