LE MARKETING ETHNOLOGIQUE (ETHNO-MARKETING)

 (Pierre Célier, Revue du CPA-EG, ENSET de Mohammedia, avril 2004)
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SOMMAIRE :
Logique du marketing ethnologique
Du marketing ethnique au marketing tribal
Ethno-marketing et marques ethniques
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PRÉSENTATION DU MARKETING ETHNOLOGIQUE

L’ethno-marketing est une « approche qui consiste à segmenter le marché local ou international en s’appuyant sur l’homogénéité d’une souche ethnique d’un groupe de consommateurs. Ainsi proposera-t-on des produits adaptés aux caractéristiques physiques et culturelles des consommateurs agrégés par souches ethniques, par exemple, les populations noires, hispaniques, juives, islamiques, etc. » (B. Cova et O. Badot, « Communauté et consommation : prospective pour un marketing tribal », 1995).

Il trouve son origine dans le « marketing ethnique » (« etnic marketing« ) qui est naît aux États-unis.
Selon l’anecdote, ce serait une certaine madame C.J. Walker, esthéticienne noire, qui l’aurait « inventé » en 1900. Constatant que les femmes noires de l’époque cherchaient à se défriser les cheveux pour mieux s’intégrer dans une société américaine à dominante blanche, elle eut l’idée de lancer un « peigne chauffant capable de défriser les cheveux crépus des femmes de couleur en toute sécurité », avec un prix, une distribution et une communication adaptés à sa cible.

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DU MARKETING ETHNIQUE AU MARKETING TRIBAL

La population américaine, est issue de plusieurs vagues de migration successives. Sa forte dimension multiculturelle et l’importance quantitatives des communautés la composant, a favorisé l’adoption, par les entreprises, de variables ethniques pour segmenter leur marché.
L’enjeu est d’ailleurs considérable : le pouvoir d’achat des minorités ethniques progresse 2,5 fois plus rapidement que celui des Blancs et, selon le bureau de recensement américain, plus de la moitié de la population américaine sera non blanche dans une cinquantaine d’années.
Toutefois, ce type de segmentation reste, pour l’instant, assez limité et principalement réservé aux produits capillaires. Ceux-ci représentent 80 à 90 % des ventes mondiales de « produits spécifiques » pour les consommateurs d’origine africaine. L’Oréal, qui a ouvert à Chicago un centre de recherche dédié aux problèmes capillaires des populations noires et métisses, domine ce marché avec sa marque SoftSheen-Carson (PdM de 12 % en valeur avec un CA de 200 M$ en 2003).

L’Europe a, elle aussi, connu plusieurs vagues migratoires importantes issues d’Italie, du Portugal, d’Afrique du nord, d’Inde, du Pakistan, de Pologne et, plus récemment, d’Europe de l’est.
Ces migrants, même naturalisés, conservent un fort attachement à leurs racines et entretiennent entre eux des liens forts. Leurs actes économiques, notamment leurs dépenses alimentaires, s’orientent souvent vers des produits de leur pays d’origine. Ils forment des ethno-sous-groupes homogènes, incitant certaines entreprises à adopter des politiques marketing spécifiques.
Ainsi, par exemple, en Allemagne, l’opérateur téléphonique Otelo a mené une campagne marketing originale à l’intention de la communauté turque (2,2 millions d’individus dont 33 % disposent d’un revenu mensuel net supérieur ou égal à 2 250 Euros). Cette action (baisse d’environ 30 % de ses tarifs de communication téléphonique entre l’Allemagne et la Turquie, accompagnée d’une campagne de communication rédigée en Turc et d’une opération de mécénat consistant à planter, pour chaque nouveau client, un chêne dans la région d’Istanbul menacée d’érosion) lui a permis de conquérir 190 000 nouveaux clients parmi cette communauté.

Toutefois, pour des raisons d’ordre à la fois historiques et culturelles, le recours au marketing ethnique reste encore largement perçu comme « politiquement incorrect » en Europe. Celui-ci se heurte au refus du communautarisme au nom des valeurs républicaines, à l’absence de statistiques qualifiant et quantifiant les marchés dits ethniques (réglementation contraignante interdisant la tenue de fichiers sur des bases confessionnelles ou raciales) et, sans doute, plus prosaïquement, à des problèmes de rentabilité (la taille et/ou la solvabilité de ces communautés ethniques étant souvent insuffisante au niveau national pour justifier une offre spécifique).
La démarche ethnologique n’est, cependant, pas totalement absente des stratégies marketing européennes, même si, pour éviter les écueils évoquées précédemment, les praticiens préfèrent raisonner en terme de « tribu » ou « réseaux » plutôt que d’ethnie (« marketing tribal« ).

L’hyper-segmentation permise par les méga bases de donnés, offre les moyens de repérer des groupes relativement stables partageant des sensibilités, valeurs ou intérêts communs, en fonction, non plus seulement de leur classe sociale, de leur âge et de leur lieu géographique, mais également de leur style de vie ainsi que de leur comportement d’achat ou de consommation. Ces groupes se caractérisent par une « sous-culture » propre, dans laquelle les entreprises peuvent chercher à s’inscrire. Ainsi, certains objets de consommation (tels que des marques de vêtements) sont devenus des emblèmes d’appartenance.

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ETHNO-MARKETING ET MARQUES ETHNIQUES

L’ethno-marketing a également connu un développement inattendu à travers ce que l’on pourrait appeler une « ethnisation » des produits. Il s’agit des campagnes visant à exploiter les associations qui peuvent exister, dans l’esprit du consommateur, entre les pays et les produits, sous réserve que celles-ci soient suffisamment fortes, exclusives et partagées.
En effet, en l’absence d’autre information (ou, éventuellement, en complément de celles dont ils disposent), les consommateurs tendent à utiliser le pays d’origine pour évaluer les produits. Suivant les produits, leur origine s’avère donc susceptible d’influer favorablement la décision d’achat.

À travers ces recherches, J.C. Usunier (« International and Cross-Cultural Managament Research” – 1998) aurait ainsi identifié trois types différents de produits :
les produits clairement ethniques pour lesquels une association pays-produit forte et bi-univoque émerge (montres et Suisse, vin et France, vodka et Russie) ;

  • les produits multi-ethniques (bière, chocolat, riz, thé, etc.) pour lesquels plusieurs pays d’une même grande zone géographique se partagent l’ethnicité (Asie, Europe, etc.) ;
  • les produits à image floue (yaourt, vélo, etc.) dont l’ethnicité globale peut être calculée pour un pays au moins, sans qu’elle atteigne un niveau important (par exemple, seuls les français associent yaourt et Bulgarie).

L’intérêt de cette approche est, évidemment, de repérer les produits à forte identité ethnique afin de capitaliser sur ces associations à travers leur mix (contenu linguistique de la marque, référent visuel du conditionnement, connotations et évocations des créations publicitaires, etc.).

L’émergence de ces « produits ethniques », peut également s’expliquer par l’apparition de nouveaux comportements identitaires. À travers la consommation de ces produits, certains individus cherchent à revendiquer ou s’identifier symboliquement à des héritages ethniques.
Cette volonté des individus de rechercher et revendiquer leurs racines ou leurs différences, apparaît d’ailleurs comme une tendance de fond, universelle. Ainsi, aux États-unis, l’ère du « melting pot » semble révolu et devoir céder la place à celle du « salad bowl » (« salade » dans laquelle un ensemble d’ingrédients vont être mélangé tout en gardant, chacun, leur goût et couleur d’origine) où chaque communauté revendique son intégration sans renoncer à ses valeurs propres.

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ETHNO-MARKETING ET COMMUNAUTARISME

Adopter le marketing ethnique, c’est donc « accepter l’existence d’une société composée d’un agrégat de communautés qui se distinguent par leurs modes de consommation, leurs styles de vie, leurs langages, leurs façons de s’habiller, leurs loisirs. C’est reconnaître que chaque ethnie a une façon bien particulière de consommer et c’est capitaliser sur cela en lançant des produits, des campagnes censés refléter leurs envies et leurs besoins » (A. Sengès, « Ethnik » – 2003)… Avec le risque non négligeable que la réhabilitation de cette identité communautaire ne favorise un repli sur celle-ci.

 

Sources principales  :
- « Le marketing ethnique, une stratégie pour répondre à une société pluriculturelle », C. Nardot – Site académique de Versailles.
- « Ethnik », Éditions Autrement, A. Sengès (2003).
- « L’influence de l’origine d’un produit sur son image à l’étranger », J. Bon, A. Ollivier – R.F.M. n° 77 (1979)
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