LE MARKETING VIRAL

 (Pierre Célier, Revue du CPA-EG, ENSET de Mohammedia, janvier 2005)
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SOMMAIRE :
LOGIQUE DU MARKETING VIRAL
SPÉCIFICITÉS ET VARIANTES DU MARKETING VIRAL
……Bouche à oreille « spontané »
……Bouche à oreille « facilité »
……Buzz marketing
……Marketing furtif (Undercover marketing)
……Marketing communautaire
……Marketing par influence
……Marketing de cause
EFFICACITÉ DU MARKETING VIRAL
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LOGIQUE DU MARKETING VIRAL

Le marketing viral s’appuie sur le classique phénomène de « bouche à oreille » (en anglais : « chinese whisper » c’est à dire « soupir chinois ») en cherchant à l’orienter et à en accélérer le mode de transmission, grâce à l’utilisation d’Internet.
Il s’agit donc d’une campagne marketing visant à provoquer et amplifier les phénomènes de recommandation, en jouant sur les possibilités offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Son qualificatif de « viral », se justifie par le mode de propagation de ce type de campagne, proche de celui d’un virus : système de diffusion pyramidal engendrant à la fois une forte couverture et une grande vitesse de transmission.

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SPÉCIFICITÉS ET VARIANTES DU MARKETING VIRAL

Sur la base des éléments précédents, il est possible de distinguer le marketing viral :

    • du bouche à oreille « spontané » : bien que son mode de propagation soit également de nature « virale », notamment lorsqu’il est relayé par Internet (à travers la transmission de mél, la participation à des forums, la réalisation d’un site personnel), le bouche à oreille spontané résulte de l’initiative d’individus (isolés ou organisés) sans une volonté directe de la part de l’entreprise. Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, de marketing viral, même si ses conséquences peuvent se faire sentir au niveau marketing que ce soit de manière favorable (recommandation d’une marque, site de fan, relais d’une offre commerciale) ou défavorable (dénigrement d’une marque, site de dénonciation, campagne de pétition et/ou de boycott).
    • du bouche à oreille « facilité » : dans ce cas, l’entreprise cherche à favoriser le phénomène de bouche à oreille spontané en insérant sur ses pages Web ou ses mél commerciaux, des modules ou fonctionnalités virales favorisant et simplifiant les recommandations spontanées (du type « envoyer cette page à un ami », « donner votre avis sur ce produit », etc.) ou en fournissant des éléments graphiques aux individus développant des sites dédiés ou invoquant sa marque ou ses produits [1].
      Ce type d’action, bien que relevant du domaine du marketing et visant un mode de propagation de type « viral », ne constitue pas, à proprement parler, une campagne de marketing viral, dans la mesure où l’entreprise ne cherche qu’à favoriser un phénomène spontané et non à le provoquer. La notion de campagne marketing sous-entend un plan d’action spécifique (des objectifs précis, un budget, des étapes) et, surtout, une création (quelque soit sa forme : jeu, programme de parrainage, réalisation d’une vidéo, événement, sites parodiques [2], etc.) susceptible de déclencher le phénomène de bouche à oreille électronique.

Les opérations de marketing viral peuvent prendre de nombreuses formes. Parmi celles-ci on qualifie de :

    • « Buzz marketing » : la technique qui consiste à créer une rumeur (buzz : bourdonnement en anglais) ou un bruit de fond médiatique (que ce soit on-line ou off-line) avant la sortie d’un produit, d’un film (comme lors de la sortie de « Blair Witch Project ») ou d’un service.
      Certaines sociétés comme la « BzzAgent » s’y sont spécialisées et recrutent plusieurs milliers de « brand evangelists » (« évangélistes de marque ») volontaires, chargés de différentes activités susceptibles de créer une rumeur favorable à un produit ou une marque (par exemple : recommander une marque de saucisse à un inconnu rencontré dans un rayon charcuterie, faire référence à certains passages d’un livre dans ses diverses conversations quotidiennes, envoyer un commentaire élogieux sur un forum en ligne, réclamer une marque dans un magasin ou elle pourrait être vendue, etc.). Contrairement aux hommes-sandwichs ou aux distributeurs de tracts, ces « avocats d’un troisième type » ne reçoivent, en contre-partie, aucune rémunération, juste des gratifications d’ordre social (être « dans le coup » en étant le premier à tester et à pouvoir parler d’un nouveau produit) ou matérielles (participation à des soirées événementielles, points dont le cumul peut être échangé contre des cadeaux, etc.).
      Ainsi que le souligne Mark Hugues (auteur de « Buzzmarketing » publié chez Penguin/Portfolio) : « la rumeur représente un média alternatif dont l’efficacité réside dans la crédibilité même du messager. Quand un ami, un collègue, un membre de votre famille vous parle d’un film, un produit ou un service, vous le croyez… D’autant plus qu’ils ne sont pas payés pour le faire ».
    •  « Marketing furtif » (« undercover marketing« ) ou « guérilla marketing » : les actions dans le cadre desquelles la marque ou l’entreprise ne souhaite pas être identifiée comme étant à l’initiative du phénomène de communication (fausses contributions personnelles sur des forums, faux sites personnels, etc.)… Pratique qui n’est toutefois pas sans soulever de sérieuses questions déontologiques !
    • « Marketing communautaire » : les actions visant à former ou soutenir des niches communautaires susceptibles de partager un intérêt pour une marque (groupes d’usagers, fan-clubs, forums de discussion dédiés, etc.).
    • « Marketing par influence » : actions marketing visant spécifiquement des communautés-clés ou des leaders d’opinion susceptibles de parler favorablement d’un  produit et d’influencer l’opinion des membres de leur groupe d’influence.
    • « Marketing de cause » : soutien de causes sociales afin de gagner le respect et l’estime des gens qui adhèrent ou militent pour ces causes.

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EFFICACITÉ DU MARKETING VIRAL

L’impressionnant impact qu’ont réussi à atteindre certaines chaînes de solidarité (certaines ayant complètement dépassées leur initiateurs et continuant à se développer contre leur gré) ou sites personnels (celui de Mahir Cagri qui est devenu un cas d’école [3]) attestent de l’impact redoutable que peut atteindre le bouche à oreille électronique.

Les facteurs explicatifs de cette puissance sont multiples :

  • coût de transmission de l’information : coût marginal très faible, sinon nul, d’envoi d’un message électronique ou d’une contribution sur un forum.
  • facilité de création/transmission des recommandations : les fonctions classiques des logiciels de messagerie ou de newsgroup (répondre, transmettre, carnet d’adresses, etc.) et celles d’un nombre croissant de sites réduisent considérablement l’effort nécessaire à la propagation d’une information.
  • lien hypertexte : le lien hypertexte permet un accès immédiat et sans effort à la page ou au contenu faisant l’objet d’une recommandation.
  • diffusion pyramidale de l’information : permettant une couverture extrêmement élevée en un temps très réduit.
  • présence de communautés : la multiplication des communautés, professionnelles ou non, favorise la propagation d’informations, surtout lorsqu’elles sont spécialisées.
  • nature anxiogène de l’environnement Internet : l’internaute, face aux multiples risques que présentent la souscription d’une offre commerciale sur Internet (fiabilité de l’offre et du site émetteur, sécurité des paiements en ligne, crainte des virus et pourriels), se révèle particulièrement sensible aux cautions apportées par des tiers (selon plusieurs études concordantes, 20 à 30 % des clients des sites marchands proviendraient d’actions de recommandation).
  • reprises sur les médias traditionnels : les journalistes assurant une partie de leur veille informationnelle sur Internet, il n’est pas rare qu’un bouche à oreille électronique conduise à des retombées dans les mass-médias traditionnels.

Toutefois, il convient de souligner que les succès les plus notables en la matière relèvent davantage du « bouche à oreille électronique spontané » que du marketing viral, au sens où nous l’avons précédemment défini. La pratique montre à quel point il est difficile de mobiliser une communauté d’internautes très vigilante et rétive à toute tentative de manipulation à des fins commerciales.
Les deux facteurs les plus utilisés et, donc, vraisemblablement les plus efficaces, pour déclencher ce type de mouvement semblent être le profit (par exemple : système de parrainage permettant d’obtenir pour soi-même et/ou pour le destinataire à qui on transmet le message, un avantage quelconque) et l’humour (message commercial décalé et/ou accompagné d’illustrations ou animation particulièrement amusante).

La technique s’avère donc séduisante, sa puissance potentielle incontestable, mais elle réclame une très grande créativité de la part de l’entreprise pour déterminer les stimuli susceptibles de générer et maintenir un bouche à oreille électronique répondant à ses objectifs commerciaux.


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 [1] Ainsi, par exemple, les différentes affiches publicitaires utilisées depuis 1990, par la marque de lingerie féminine Aubade (toutes basées sur la même charte graphique : un corps magnifique, un visage invisible pour faciliter l’identification, des photos noir et blanc qui font ressortir le grain de la peau, une accroche courte, un brin coquine, dans un rectangle blanc – Agence Carlin, D.A. Laure Dousaud) ont connu un tel succès, que des internautes les ont utilisées pour réaliser des fonds d’écran ou des économiseurs d’écran qui ont commencé à circuler sur le net. Saisissant l’occasion, Aubade a créé son propre site pour mettre à la disposition des internautes l’ensemble de ses annonces publicitaires et favoriser ainsi ce mouvement spontané.
De même, la société Adobe met à la disposition des webmestres différents modèles de vignette « Télécharger gratuitement Acrobat Reader » (assorti d’un lien vers son site commercial) que ceux-ci peuvent utiliser librement sur leur propre site.
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[2] création par l’entreprise d’un site web d’auto-dérision ou parodique, dans la perspective de créer un bouche à oreille électronique permettant de renforcer le sentiment de proximité et de connivence entre la marque et les consommateurs.
Par exemple, Panasonic a ainsi créé et promu le site de l’association américaine « People Against Fun » qui vise à rendre la vie des américain plus triste et plus austère. Sur ce site figurent, notamment, des listes de produits « dangereux » (c’est à dire qui risquent de vous rendre la vie plus agréable et gaie) qui sont, bien sûr, de la marque Panasonic.
De même, la compagnie aérienne Alaska Airlines a créé à l’automne 2003 un faux site parodiant les « plaisirs » d’une compagnie low cost. On y trouve, entre autres, un planificateur de vol proposant une dizaine de correspondances pour des vols habituellement directs, une présentation du concours de lutte pour l’obtention d’un siège, des conseils pratiques pour passer la nuit dans un aérogare, etc.
De son côté, Sony a diffusé sur Internet une série de mini-sketches musicaux à l’humour décalé, transférables par e-mail, à l’occasion du lancement de sa gamme de lecteurs numériques « Net MD ».
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[3] Mahir Cagri est un jeune Turc ayant créé, au cours de l’année 1999, un site personnel, en anglais, présentant sa vie, ses passions et ses voyages, le tout illustré de quelques photos personnelles. Le rendu final s’avérait très « kitch », notamment vu des États-Unis (destinations de ses déplacements très exotiques, formules très naturelles et naïves traduites dans un anglais approximatif, offre d’hospitalité aux voyageuses visitant son pays, etc.).
Amusé par son site, une de ses connaissances a commencé à transmettre son adresse URL à certains de ses amis, qui l’ont eux-mêmes diffusée aux leurs… En quelque mois, par un effet « boule de neige », celui-ci est devenu un site culte, dont la presse, en s’en faisant l’écho, a encore accru la notoriété.
Devenu une vraie star, Mahir Cagri a participé à de grandes émissions sur les chaînes américaines. Le magazine Forbes l’a désigné comme la centième personnalité de l’année 2000 et son site est entré dans le livre des records en 2001 comme le site personnel le plus visité (11 millions de visites).
Cependant, l’effet de mode étant retombé, Mahir Cagri et son site (dont la version originale reste consultable sur Internet) sont progressivement retombés dans l’anonymat.
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Sources principales  :
- « Jouer de la rumeur pour mieux vendre un produit », M. Séry – Le Monde (04/03/2005)
- « Les leçons de séduction donnent corps à Aubade », K.M. – Challenges n° 159 (01/06/2001)
- « Les marques cherchent de plus en plus le bouche à oreille », entretien avec D. Manceau – Le journal du management (oct. 2003)
- « Marketing viral », abc-netmarketing (13/04/2003)
Pour aller plus loin :
- Site « Rumeurs et rumorologie » – Site personnel de P. Froissard (Univ. Paris VIII & CNRS)
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