LA TARIFICATION EN TEMPS RÉEL (YIELD MANAGEMENT)

 (Pierre Célier, Revue du CPA-EG, ENSET de Mohammedia, avril 2007)
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SOMMAIRE :
Logique de la tarification en temps réel
Origine et perspectives de développement du yield management
Un système « gagnant / gagnant »
Domaines d’application du yield management
Démarche d’implantation d’une tarification en temps réel
Tarification en temps réel et marketing « One to One »
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LOGIQUE DE LA TARIFICATION EN TEMPS RÉEL

La « Tarification en temps réel » ou « yield management » (en anglais, « yield » signifie littéralement : produire, rapporter, laisser la priorité), encore appelée « Revenue Management« , recouvre l’ensemble des techniques permettant, gràce à un réajustement permanent et en temps réel des prix, une optimisation de la gestion des capacités et, en conséquence, une augmentation du revenu global de l’entreprise.

Ce type de tarification tend à se généraliser chez les prestataires de services, notamment chez ceux qui se caractérisent par des coûts fixes importants et une certaine inertie des capacités proposées (transport en commun, hôtellerie, salles de spectacle, etc.).
Concrètement, elle se traduit par la proposition de contingents variables d’unités de vente à des prix différenciés suivant le moment d’achat, la nature et la durée des services proposés, leur date d’utilisation, etc. (ainsi, par exemple, dans les services de transport, des réservations effectuées très en avance ou, au contraire, à la dernière minute, bénéficieront de réductions conséquentes, dans la mesure où elles permettent d’optimiser l’occupation des capacités disponibles).

Pour calculer, en temps réel, les meilleurs prix permettant d’optimiser le profit, le yield management s’appuie sur une modélisation prévisionnelle de l’évolution de la demande et exige l’utilisation d’ordinateurs afin d’effectuer rapidement des calculs complexes et constamment révisés.

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ORIGINE ET PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT DU YIELD MANAGEMENT

Le yield management est apparu aux États-unis, au début des années 1980, dans les compagnies aériennes. Au cours de cette période, le secteur du transport aérien américain a connu deux évolutions majeures qui ont bouleversé son contexte concurrentiel :

  1. la déréglementation du secteur aérien qui a permis l’entrée sur le marché de nouvelles compagnies à bas prix (la compagnie People Express avait, par exemple, des coûts d’exploitation inférieurs de moitié à ceux des majors du secteur) ;
  2. le développement des systèmes globaux de réservation électroniques (les GDS : Global Distribution Systems, tels que Apollo, Amadeus ou Sabre, affichent, en temps réel, les places disponibles dans un réseau très étendu d’agences de voyage).

Dans ce contexte, les compagnies qui se sont dotées des systèmes de yield management les plus performants (notamment American Airlines et Delta Airlines) semblent avoir beaucoup mieux résisté que leurs concurrents n’ayant pas, ou trop tard, investi dans ces systèmes (People Express, PanAm, etc.).
Cette méthode « scientifique » de calcul des prix (basée sur le principe qu’il vaut mieux brader un siège inoccupé que de décoller à vide) a permis, aux entreprise l’ayant adoptée, de conserver leur part de marché sans dégrader leur rentabilité, grâce à une tarification différenciée et un contrôle systématique de la quantité d’un produit mis en vente dans chaque classe tarifaire. Ainsi, American Airlines estime que le recours au yield management lui a permis d’augmenter ses revenus de près de 1,5 milliard entre 1989 et 1991.

À partir du début des années 1990, le yield management qui s’était généralisé dans l’industrie aérienne, a commencé à pénétrer de nouveaux secteurs d’activité, d’abord aux États-unis puis en Europe. Il s’est ainsi développé dans l’hôtellerie (chaîne Marriott), la location de voiture (Hertz), le transport de colis (UPS), les compagnies de chemin de fer (CFF, SNCF), les parcs d’attraction (Futuroscope), les cyber-cafés (EasyEverything), etc.

Le développement du e-commerce offre de nouvelles perspectives au yield management. En effet, le réseau Internet permet à une entreprise de diffuser ses prix et la disponibilité de ses produits auprès, non plus de quelques milliers de revendeurs, mais directement vers des millions de consommateurs internautes (domaine du Business to Consumer) ou des milliers d’intranets d’entreprises (domaine du Business to Business).
Là encore, les compagnies aériennes ont été des précurseurs. EasyJet a été l’une des premières entreprises à saisir cette opportunité en introduisant directement sur son site, par lequel transitent près de 80 % de ses réservations, ce mécanisme de tarification dynamique.
Depuis, ce principe a fait son chemin et s’est généralisé dans le commerce électronique, sous diverses appellations : « enchères », « appels d’offre », « négociations », etc.


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UN SYSTÈME « GAGNANT / GAGNANT »

L’utilisation du yield management entraîne des conséquences positives à la fois pour :

  • l’entreprise qui, en ajustant son offre à la demande, augmente son chiffre d’affaires (captation de volumes supplémentaires de demande) et son résultat (optimisation des prix de vente unitaires en fonction des fluctuations de la demande) ;
  • le consommateur qui, en choisissant sa prestation en fonction de ses propres contraintes (notamment sur le plan financier et en terme de disponibilité), peut obtenir des tarifs plus attractifs sans que la qualité du service obtenu en soit affectée.

L’implantation d’un système de tarification flexible s’inscrit donc dans le cadre d’une véritable stratégie « gagnant/gagnant ». À ce titre, le yield management peut s’avérer une arme redoutable dans la compétitivité prix des entreprises et avoir une forte incidence sur leur rentabilité, voire leur viabilité lorsqu’elles opèrent dans un contexte fortement concurrentiel.


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DOMAINES D’APPLICATION DU YIELD MANAGEMENT

Le yield management ne se prête pas, nécessairement, pas à toutes les formes d’activité. Les secteurs où il confère un avantage concurrentiel aux firmes qui l’appliquent, présentent un certain nombre de caractéristiques communes :

  1. des produits ou services hautement « périssables » ou non stockables (siège d’avion, chambre d’hôtel, place de concert, etc.), dont la valeur devient nulle après une certaine date (stocks dits « à rotation nulle ») ;
  2. une capacité de production quasi rigide, du fait de coûts d’ajustement élevés par rapport à une demande extrêmement fluctuante ;
  3. des ventes par réservation permettant aux entreprises de commercialiser leurs produits ou services avant leur date effective d’usage ;
  4. une tarification différenciée justifiée par une élasticité de la demande au prix variable suivant les segments de clientèle (ce système permet d’optimiser le revenu généré en captant les consommateurs dont la demande est fortement élastique par rapport au prix grâce à des tarifs bas, tout en préservant les opportunités offertes par les consommateurs faiblement sensibles au prix grâce à des quotas de vente par niveau tarifaire).
  5. des coûts variables unitaires très faible, en général de l’ordre de 0 à 20% du coût total suivant le secteur (coût variable quasi nul pour une place de concert, très faible comparativement aux charges fixes engagées pour une chambre d’hôtel)… De ce fait, une augmentation, même faible, du revenu peut entraîne une amélioration importante du résultat. En effet, lorsque les frais fixes sont couverts, la marge sur coût variable (d’autant plus importante que le rapport des charges variables au C.A. est faible) va directement contribuer à l’accroissement du résultat [1].

Si de nombreux secteurs, notamment dans les services, présentent de telles caractéristiques, ce n’est pas le cas de tous. Ce mécanisme de tarification n’est donc pas nécessairement opportun pour toutes les formes de vente, ni pour tous les secteurs de distribution.


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DÉMARCHE D’IMPLANTATION D’UNE TARIFICATION EN TEMPS RÉEL

Comme on l’a vu, le yield management s’est développé dans des entreprises dont l’activité principale n’est pas stockable (ou hautement périssable) et dont la capacité de production est rigide. Dans ce cadre, le responsable qui cherche à maximiser son chiffre d’affaires est confronté à l’alternative suivante en terme d’orientation tarifaire :

  1. soit maintenir son produit à un prix élevé, quitte à ne pas écouler l’intégralité de sa production, afin de s’assurer la recette moyenne par client la plus élevée possible.
  2. soit faire varier le prix de son produit à la baisse, quitte à perdre des opportunités de vente à un prix plus élevé, afin de s’assurer un volume total d’affaires le plus élevé possible.

Aucune de ces deux options ne semble, à priori, supérieure à l’autre. Chacune d’elles est susceptible, suivant le contexte (situation personnelle des clients, niveau de la demande, événements extérieurs), de maximiser le chiffre d’affaires.
L’objectif d’une méthode de tarification en temps réel est, justement, de permettre un arbitrage permanent entre ces deux solutions.

Sa mise en place suit généralement les cinq étapes suivantes :

  • Étape 1 : construction de « classes tarifaires » en regroupant les clients qui ont un comportement de réservation (notamment en terme de délai et de canal utilisé) et une contribution (résultat moyen généré) homogènes. Celles-ci doivent regrouper un volume global de client qui ne doit être ni trop faible (sa taille doit permettre des analyses statistiques dont les résultats seront significatifs), ni trop important (afin de laisser une marge de manœuvre commerciale suffisante à l’entreprise).
    Ces classes tarifaires doivent être définie en fonction du positionnement de l’entreprise et de ses segments de marché prioritaires (sachant que ces deux notions sont distinctes : un même client, suivant par exemple le moment de sa consommation du service, peut être confronté à deux classes tarifaires différentes). Chacune d’entre elles fera l’objet d’une politique commerciale spécifique.
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  • Étape 2 : analyse de l’historique, pour chaque journée et par classe tarifaire, de l’état des réservations, de leur montée en charge (chronologie, jour par jour, des réservations/annulations reçues pour une date donnée), des refus de réservations (que ceux-ci émanent du client pour des raisons tarifaires ou de l’entreprise pour des raisons de capacité).
    Cette analyse doit, bien entendu, être menée en prenant en considération les événements qui ont pu avoir une incidence sur le niveau de l’offre ou de la demande au cours de la période considérée, qu’ils soient d’origine interne (maintenance de l’outil de production, opération commerciale, grève, etc.) ou externes à l’entreprise (action d’un concurrent, événement socio-économique majeur, journée fériée, etc.). Ceci suppose que ces événements fassent l’objet d’un enregistrement chronologique rigoureux par le personnel chargé de la réservation.
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  • Étape 3 : estimation de la demande de réservations potentielle par jour et par classe tarifaire (« demande non contrainte », c’est à dire sans tenir compte de la capacité de production de l’entreprise) grâce au croisement des enseignements tirés de l’historique (tendance d’évolution, analyse des séries chronologiques, coefficient saisonnier, etc.) et de la connaissance que l’on peut avoir de l’ensemble des « événements » à venir (événements susceptibles de modifier la demande).
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  • Étape 4 : optimisation du revenu généré dans le respect de la stratégie commerciale de l’entreprise, notamment vis-à-vis de ses segments prioritaires.
    L’optimisation du profit passe par le choix des clientèles qui, en fonction de leur consommation et du prix payé, assurent la contribution (ou marge sur coût variable) maximale aux coûts fixes déjà engagés. Par l’intermédiaire, ou non, d’un logiciel spécialisé, il s’agit donc de déterminer un allotissement prévisionnel par classe tarifaire (nombre maximum de réservations), à partir de la demande non contrainte et compte tenu des capacités de l’entreprise et de sa politique commerciale (type de clientèle à privilégier et moyens de l’attirer).
    Quelle que soit la sophistication et la complexité des outils et techniques utilisées (calculs permanent ou non, prise en compte des annulations de dernière minute par l’utilisation d’un « surbooking » bien maîtrisé, transferts possibles entre établissement appartenant au même groupe, etc.), les résultats obtenus doivent se traduire en règles de décision simples pour les salariés du service réservation. Ceux-ci doivent pouvoir disposer, à tout moment, d’une information claire et précise sur la possibilité d’accepter, ou non, une demande de réservation dans une classe tarifaire donnée et les conditions pour en bénéficier.
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  • Étape 5 : contrôle des recommandations émises. La sanction de ce mode de tarification est quotidienne car, soit le C.A. réalisé est conforme aux prévisions, soit il ne l’est pas et la marge brute n’est pas optimisée.
    Un suivi quotidien de l’évolution des réservations par rapport aux capacités de production disponibles, du C.A. et du résultat par segment et groupe tarifaire est donc nécessaire afin de s’assurer en permanence de la pertinence du modèle d’optimisation retenu et, dans le cas contraire, de permettre son adaptation.

Bien qu’elle puisse s’appuyer sur des techniques statistiques extrêmement sophistiquées, la tarification en temps réel n’est pas une science exacte. Elle s’appuie sur une modélisation (plus ou moins poussée) d’un facteur humain qui, par essence, est difficile à rationaliser.
Qu’il s’agisse de la prévision du comportement du client ou de l’application des consignes par le personnel du service réservation, les risques d’erreurs sont nombreux et exigent un contrôle permanent du système mis en place et une formation suffisante du personnel.

Dans le cadre d’une stratégie d’e-business, l’implémentation d’un système de tarification en temps réel dans le S.I. d’une entreprise passe par cinq phases essentielles selon P. Renou (« La tarification en temps réel – Yield management », 2001) :

  1. Identification des opportunités ;
  2. Analyse statistique et mise au point du modèle de prévision ;
  3. Conception du système informatique correspondant ;
  4. Intégration dans le système de réservation en ligne ;
  5. Adaptation des processus de gestion et des pratiques marketing de l’entreprise.

Une telle démarche nécessite une informatique très intégrée avec son entrepôt de données, ses analyses statistiques, ses modèles de calcul, ses liaisons avec les systèmes opérationnels et autres interfaces homme/machine.
Cependant, malgré ses contraintes techniques, le yield management peut s’avérer particulièrement intéressant dans le domaine du commerce électronique. En effet, ce type de tarification permet à l’entreprise d’échapper à la logique des « prix catalogue » qui induit souvent une forte concurrence sur les prix, renforcée par les facilités d’Internet en la matière (sites « comparateurs de prix » ou spécialisés dans la recherche des prix les plus bas).


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TARIFICATION EN TEMPS RÉEL ET MARKETING « ONE TO ONE« 

Face à une intensification des rapports de concurrence entre firmes, à des offres produits de plus en plus diversifiées et à des consommateurs exigeants et volages, les entreprises ont été amenées à renouveler leur approche mercatique.
En particulier, elles ont pris conscience de la nécessité de personnaliser davantage leur offre, dans une perspective de fidélisation de leurs clients à plus fort potentiel. Cette démarche a conduit à l’émergence et au développement du marketing « one to one ».
La tarification en temps réel (dont la philosophie peut se résumer comme étant de « vendre le bon produit, au bon client, au bon moment et au bon prix ») s’inscrit pleinement dans cette perspective d’une différentiation accrue de l’offre en fonction des besoins propres à chaque consommateur et des capacités de l’entreprise.

Ce principe de tarification marque une rupture importante par rapport à la gestion traditionnelle du mix. En effet, par crainte des réactions des concurrents, les entreprises avaient, souvent, une certaine réticence à utiliser la variable prix comme principal moyen de différenciation. Avec le yield management, celle-ci redevient une arme concurrentielle de premier plan et d’utilisation courante.


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 [1] Ainsi, par exemple, une entreprise réalisant un C.A. de 100 MDH, pratiquant un taux de marge de 15 % et ayant des coûts variables représentant 10 % de son C.A. verra son résultat augmenter de 30 % si elle accroît, grâce au yield management, son C.A. de 5 % :
…………… C.A. initial = 100 MDH  =>  Résultat initial = 15 MDH
…………… C.A. après Y.D. = 100 * 1,05 = 105  =>  Résultat après Y.D. = 15 + (5 * 0,90) = 19,5
… Soit une progression de 30 % par rapport au résultat initial !
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Sources principales  :
- « Le Yield Management : un modèle d’optimisation qui a fait ses preuves«  – Site Costkiller.net (12/10/2003)
- « Définition et historique du Yield Management » – Site Optims
- « Optims Revenue Management« , Philippe Goutelle (février 2007)
- « Yield management, des prix à la tête ou au goût du client ?« , Yves Pigneur – site de HEC
- « La tarification en temps réel« , Patrick Renou – site du CERPET (2001)
- « Le Yield management et le marketing relationnel : deux axes du one to one« , Canard L@ccé n° 11 – Site académique Nancy-Metz
- « Yield management« , article Wikipédia (v. 2007)
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