LE MARKETING SENSORIEL

 (Pierre Célier, Revue du CPA-EG, ENSET de Mohammedia, mai 2004)
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SOMMAIRE :
Logique du marketing sensoriel
Démarche du marketing sensoriel
De l’utilisation des sens en marketing au marketing sensoriel :
La vue
Le goût
Le toucher
L’ouïe
L’odorat
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LOGIQUE DU MARKETING SENSORIEL

Le marketing sensoriel peut se définir comme « l’ensemble des variables d’actions contrôlées par le producteur et/ou le distributeur pour créer, autour du produit ou du service, une atmosphère multisensorielle spécifique, soit à travers les caractéristiques du produit lui-même, soit à travers la communication en sa faveur, soit à travers l’environnement du produit au point de vente » (M. Filser).
Il a donc pour objet de solliciter un ou plusieurs des cinq sens du consommateur pour le séduire en accroissant son bien-être. Son but est à la fois de rassurer le consommateur sur la qualité du produit et de lui apporter une sensation de confort et de plaisir.
Il s’est développé autour de deux axes distincts mais complémentaires : l’amélioration de la qualité perçue du produit et la mise en ambiance des produits dans les points de vente.

La vue, le toucher et le goût font, depuis longtemps, partie intégrante du marketing produit. Toutefois, l’expression « marketing sensoriel » est apparue, plus récemment, lorsque les industriels et les commerçants ont commencé à exploiter les deux autres sens, à savoir l’odorat et l’ouïe, pour leurs produits et/ou leurs points de vente.
En fait, au-delà du nombre ou de la nature des sens qu’il cherche à exploiter, le marketing sensoriel se distingue principalement, par sa volonté d’intégrer dans la démarche commerciale de l’entreprise, la compréhension des perceptions humaines et de leur subjectivité. En effet, si les cinq sens renseignent le consommateur sur son environnement, les mécanismes perceptuels vont au-delà de la simple reconnaissance de la couleur, de la musique ou de l’odeur. Un stimulus fait aussi bien réagir qu’il fait réfléchir, car le consommateur interprète et analyse. Les stimuli sensoriels ont donc un double impact sur le consommateur : il induisent une réaction première (« cela sent bon ») et participent à la construction de perceptions dans le sens d’un jugement (« c’est propre », « c’est solide », etc.).
Pour que cette forme de marketing soit efficace, il faut donc comprendre les stimuli et les situations qui déclenchent certaines émotions, afin évaluer le degré d’attirance ou de répulsion d’une odeur, d’un goût, d’un son, etc. Pour cela, les entreprises font généralement appel à des instituts spécialisés dans exploration de la subjectivité des perceptions.

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DÉMARCHE DU MARKETING SENSORIEL

La démarche du marketing sensoriel consiste à évaluer l’impact émotionnel de chaque attribut du produit, afin de chercher à augmenter la « qualité perçue » du produit. Il s’agit, donc, d’évaluer les émotions suscitées, par exemple, par le bruit d’une portière, le toucher d’un stylo, le croustillant d’un biscuit, etc.

Dans cette perspective, la première étape (et la principale difficulté) consiste à trouver un vocabulaire commun, à s’accorder sur les mots permettant de qualifier les sensations procurées par l’usage d’un produit. La méthode la plus couramment utilisée consiste à constituer des groupes de consommateurs à qui, grâce à différentes techniques d’idéation, il est demandé de générer des listes de termes susceptibles de décrire les différentes composantes de la sensation étudiée. Ainsi, par exemple, les composantes du toucher d’un stylo pourraient être : le glissant, la résistance, la douceur, l’accrochant, etc.
Cette liste, parfois composée de plusieurs centaines de mots, fait ensuite l’objet d’un tri/filtrage par des spécialistes (sémanticiens, psychologues, anthropologues) afin d’être réduite à un petit nombre de mots (une vingtaine en moyenne) significatifs, non équivoques et non redondants.
Sur cette base et à partir d’un protocole d’évaluation très strict et précis (dans le cas d’un stylo : nombre de pages à écrire, types de supports à utiliser, conditions d’écriture, etc.), les produits peuvent alors être testés auprès d’un échantillon de consommateurs et évalués (note d’intensité sur chacune des composantes et note globale).

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DE L’UTILISATION DES SENS EN MARKETING AU MARKETING SENSORIEL

La vue

La vue est, traditionnellement, le sens le plus sollicité par l’action commerciale. Qu’il s’agisse de la teinte d’un aliment (un saumon sera, par exemple, d’autant plus appétissant qu’il sera rouge pour un Allemand et rose pâle pour un Français), de la forme et des couleurs d’un conditionnement, de l’aménagement d’un point de vente (matériaux utilisés, éclairage, etc.), de l’habillage d’un stand ou de la mise en page d’une annonce publicitaire, les entreprises ont, depuis longtemps, pris conscience de l’impact de ces éléments sur le consommateur.

Ainsi, alors que la couleur d’un produit a, pendant longtemps, été considérée comme un simple attribut décoratif, elle sert de plus en plus d’élément d’identification (le rouge de Coca opposé au bleu de Pepsi), voire de différenciation (Apple, dans un contexte de standardisation technique, a réussi à obtenir un positionnement original  de son Imac et de son Ibok, grâce à leurs couleurs acidulées).
De même, les couleur et forme du produit sont désormais couramment utilisées pour renforcer la « réalité subjective » du produit et venir renforcer ses attributs perçus (Décathlon, par exemple, a su renforcer l’impression de confort et de chaleur dégagée par ses combinaison de surf en néopréne, traditionnellement noires, en leur ajoutant une touche de rouge et d’orangé).

Il s’agit donc d’un domaine déjà largement exploité, qui a fait l’objet de nombreuses études, avec ses spécialistes (designer, architecte commerciaux, directeur artistique, etc.) et ses outils de contrôle (pré-test, post-test).
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Le goût

Le goût fait référence à un attribut intrinsèque du produit qui constitue un moyen efficace de différenciation, notamment dans le domaine alimentaire (mais pas seulement, ainsi qu’en témoignent les innovations menées par les fabricants de jouets premier âge, de tétine de biberon, de tuba de plongée, de cigarettes, de médicaments, etc.).
Il est donc, lui aussi, déjà largement exploité. En particulier, les laboratoires des producteurs l’étudient dans la perspective d’adapter leurs produits aux préférences régionales des consommateurs (l’Espagnol préférerait le doux-crémeux craquant, l’Allemand le sucré-salé, l’Anglais le légèrement acide, etc.) et de mettre au point des conditionnements préservant l’arôme et les saveurs de leur contenu.
Les entreprises ont également souvent recours au goût dans leurs opérations de communication que ce soit indirectement à travers des publicités comparatives (blind test) ou directement grâce à des opérations de promotion (échantillonnage, dégustation gratuite).

Toutefois, ce n’est que récemment que des études ont cherché à mieux comprendre le mécanisme du goût et à explorer les relations pouvant exister entre, par exemple, le goût et les couleurs. Ainsi, d’après celles-ci, les quatre sensations gustatives de base : le sucré, l’acide, l’amer et le salé seraient respectivement associées par les consommateurs au rouge, au vert, au bleu et au jaune.
De même, bien qu’encore peu analysées, il est vraisemblable que, pour de nombreux produits, de fécondes relations puissent être recherchées entre leur texture (qui met en jeu la vue et le toucher) et la représentation que se font les consommateurs de leurs qualités gustatives.
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Le toucher

La prise en compte des émotions suscités par la vue fait également partie des préoccupations classiques des mercaticiens, que ce soit lors de la conception du produit (stylo, vêtement, volant de voiture, etc.) ou de son conditionnement (flacon de parfum, pot de confiture, paquet de chips, etc.). Ainsi, par exemple, les formes de la bouteille d’eau Valvert, qui semble taillée dans la roche, ont été conçues pour évoquer par son toucher rugueux l’origine naturelle de sa source dans les Ardennes.
Les designers ont déjà largement intégré cette dimension dans leur réflexion et elle fait l’objet régulier de test auprès des consommateurs.

Les prestataires de services, attachent également une importance croissante à ce sens dans la définition de leur offre. Ainsi, par exemple, dans un restaurant, le poids des couverts, l’épaisseur des verres, la texture des serviettes, le confort d’une chaise risquent d’influencer l’appréciation des mets servis.
De même, dans un magasin, la nature des matériaux utilisés pour le mobilier et la profondeur de la moquette peuvent jouer sur la perception qu’auront les consommateurs des produits proposés.
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L’ouie

L’utilisation du son afin de susciter chez le consommateur des réactions affectives, cognitives et/ou comportementales favorables à l’acte d’achat a, pendant longtemps, été considéré comme l’apanage de la publicité (message sonore, jingle).
Ce n’est que récemment que les entreprises se sont intéressées aux sons générés par le produit lui-même (ronflement du moteur d’une voiture, claquement d’une portière qui se ferme, bruit du clapet d’un téléphone portable, etc.), après avoir pris conscience que ceux-ci participent à sa perception et à son évaluation par les consommateurs.

La sonorisation des surfaces commerciales, bien qu’ancienne, commence seulement à faire l’objet d’études approfondies et systématiques. D’après ces dernières, la nature et le tempo des musiques diffusées en fond sonore influenceraient notablement le comportement d’achat des clients, que ce soit en magasin (durée de passage des clients, montant et nature de leurs achats) ou dans un restaurant (temps consacré au repas, nature des plats commandés et montant de l’addition).
Relativement nouveau, ce domaine, que certains qualifient déjà de « design sonore« , ouvre d’intéressantes perspectives commerciales.
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L’odorat

Dans le contexte d’une standardisation croissante des produits et d’un consommateur dont la vue et l’ouïe sont déjà sur-sollicités, le recours à l’odorat (doté de 10 millions de récepteurs olfactifs, un individu moyen pourrait distinguer jusqu’à 4 000 parfums différents) est devenu, depuis quelques années, une nouvelle piste de différenciation pour les entreprises.
Piste d’autant plus intéressante qu’il semble que, des cinq sens, ce soit celui qui véhicule la plus grande valeur émotionnelle. En effet, réveillant des souvenirs lointains et des émotions enfouies dans la mémoire, l’odorat se révèle comme l’un de nos sens les plus intimes et les plus durables. La mémoire olfactive serait, ainsi, beaucoup plus tenace que la mémoire visuelle.
Selon A.Holley (chercheur au CNRS) : « Contrairement aux autres sens, le message olfactif n’accède pas directement à la conscience. Il entre dans le cerveau par le système limbique (cerveau reptilien) où il se colore aussitôt d’émotion et œuvre dans l’inconscience de nos goûts et nos inclinations ».

Mais cet élément puissamment évocateur reste, par nature, très personnel, tributaire d’une histoire, d’un conditionnement, d’une culture. L’effet induit varie éminemment d’une personne à l’autre, suivant son référentiel (ainsi, par exemple, le parfum Opium, épicé et oriental, procure une sensation de fraîcheur chez certaines personnes et un rejet viscéral chez d’autres qui lui reprochent sa violence et sa prégnance).
Toutefois, grâce à l’aromatologie les mercaticiens commencent à mieux maîtriser l’impact des odeurs sur le comportement psychique et comportemental. Ainsi, d’après cette nouvelle discipline, il semblerait que les senteurs de lavande et de menthe poivrée favorisent le travail, respectivement, des femmes et des hommes, que l’odeur de cuir et de fleur d’oranger confèrent une connotation de luxe, que les fragrances fruitées et caramélisées suscitent la gourmandise, que les effluves d’iode et de sable évoquent l’évasion et l’exotisme, que les senteurs naturelles communiquent un certain bien-être, etc.
L’exercice reste toutefois extrêmement délicat, ainsi que le montre, par exemple, l’échec du gel douche Fa Body Splash dont l’odeur « tonique » rappelait trop, aux consommateurs, celle d’un détergent.

Ces études et les progrès réalisés sur le plan technique (micro-encapsulation des fragrances pour les insérer dans les fibres du textiles ou du papier, micronisation du parfum pour optimiser son pouvoir odoriférant tout en limitant sa consommation, nouveaux procédés de diffusion) sont à l’origine d’une utilisation croissante de l’odorat en marketing, certains parlant déjà de « marketing olfactif« .
Au-delà des innovations en terme de produits (vêtements odorants, radio-réveil diffusant des senteurs de jasmin, appareil relié à un ordinateur permettant d’accompagner les courriels d’une soixantaine d’odeurs différentes), les applications proprement marketing sont, en effet, nombreuses. À titre d’exemple, on peut citer le recours à des publipostage parfumés [1] qui permettraient d’augmenter significativement leur taux de retour ou la diffusion d’odeurs dans les points de vente [2] qui accroîtrait de 10 à 15 % le temps de passage des clients.

Certaines marques ont d’ailleurs commencé à explorer la possibilité de renforcer leur identité en se créant une signature olfactive (logolf) qui viendrait compléter leurs signatures visuelle (logo) et sonore (jingle). Ainsi, lors de sa campagne Cajoline dans les Dom-Tom, la société Lever n’a pas hésité à équiper l’ensemble de ses panneaux publicitaires de diffuseurs d’effluves vanillés.


Toutefois la généralisation du marketing olfactif se heurte encore à de nombreuses difficultés à la fois sur les plans technique (il est compliqué de recomposer artificiellement la subtilité des arômes naturels), pratique (il est délicat de trouver des parfums qui plaisent au plus grand nombre, tout en se différenciant de ceux utilisés par les concurrents), financier (le recours aux procédés odoriférants restent coûteux) et juridique (la législation en la matière reste floue et la protection d’une marque olfactive soulève de nombreuses questions restant, pour l’instant, sans réponse [3]).

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[1] En Grande-Bretagne, une société de recouvrement de créances aurait amélioré de 17 % son taux de recouvrement, en imprégnant ses factures d’une senteur à base d’androsténone, substance extraite de la sueur masculine !
Le Club Med a amélioré l’impact de ses publipostage en les parfumant aux senteurs de monoï et de noix de coco.
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[2] En été, le grand magasin Le Printemps parfume certains rayons de fragrances d’odeurs marines et de crème solaire.
Les supermarchés Leclerc ont testé la diffusion de senteurs iodé dans leur rayon poissonnerie et de parfum de produits de saison dans leurs rayons fruits et légumes.
Selon l’anecdote, ce serait un psychiatre américain Alan R.HIRSCH qui serait à l’origine du concept du marketing olfactif, après avoir constaté que les joueurs des « machines à sous » d’un grand casino de Las Vegas dépensaient beaucoup plus lorsqu’ils baignaient dans des odeurs florales.
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[3] En dehors des difficultés d’application, les législations internationales ou nationales en matière de propriété littéraire et artistique ne semblent pas s’opposer à la protection d’oeuvres perceptibles par l’odorat, même si elles n’y font pas explicitement référence.
Une odeur (« émission volatile perçue par le système olfactif ») paraît pouvoir s’inscrire dans la définition générique d’une marque et être protégé en tant que telle. Il s’agit bien d’un signe (élément pouvant être perçu par les sens) pouvant permettre de distinguer des produits ou services. Toutefois la protection d’une marque olfactive soulève de nombreuses difficultés pratiques, en particulier :

  • elle paraît impossible pour des produits naturellement odorant car elle apparaîtrait, alors, comme descriptive, voire générique (en ce qu’elle se rapporte habituellement à la catégorie du bien pour lequel elle serait utilisée) ;
  • à contrario, pour les produits non naturellement odorants , elle risque d’être considérée comme déceptive (elle entraîne une association avec un élément qui est, en fait, absent du produit), voire d’être assimilée à de la publicité trompeuse lorsqu’elle associe des odeurs « nobles » à des produits qui le sont moins (odeurs de cuir / skaï, de crabe / surimi, etc.) ;
  • les codes de la propriété intellectuelle exigent, pour l’enregistrement d’une marque, un dépot du modèle (représentation graphique) de celle-ci. Or, s’il est possible de décrire une odeur, il est impossible d’en établir une représentation graphique. Différents procédés techniques (chromatographie en phase gazeuse, capteurs d’odeurs) permettent, imparfaitement, de contourner ce problème. Cependant, ils ne sont pas acceptés par les organismes de protection de la propriété industrielle dans la mesure où, lors d’une demande d’enregistrement, la publication des résultats obtenus par ce type de technique ne permet pas au public de se faire une idée précise du contenu de la marque olfactive (et donc de formuler, le cas échéant, une demande d’opposition à enregistrement).
    De plus, les entreprises, à travers le dépôt de leur marque olfactive visent moins à protéger une formule chimique que l’odeur, la fragrance particulière qui en émane. Or, deux odeurs peuvent être très proches tout en ayant une composition très différente. Le recours à des « descripteurs » (systèmes de classification des odeurs élaborés par des professionnels) est donc nécessaire, mais reste peu satisfaisant du fait de leur caractère nécessairement réducteur et de l’absence de système de classification universellement admis.
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Sources principales  :
- « La musique n’adoucit pas la consommation », C. Ané – Le Monde (09/10/2003).
- « La protection de l’odeur par la propriété industrielle », S. Calmont et S. Bouvard – Site ifrance.com (2004).
- « Le marketing sensoriel », J.L. Koehl, EGA n° 23 (février 2004).
- « Le marketing visuel », V. Musset et L. Couprie, Altema.com (2004).
- « Marketing olfactif et identité de marque », C. Nardot – Site académique de Versailles (2003).
- « Marketing olfactif ou all factice », D. Baulieu -Marketing n° 59 (01/04/2001).
- « Propriété intellectuelle des créations sensorielles », P. Breese – Site Breeze et Majerowicz (cabinet Simonnot).
- « Quand les marques en appellent au sens », M. Claustre – L’entreprise.com (13/08/2003).
- « La Revue Française du Marketing » n° 194 (septembre 2003).
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